Article Alternatives Médias

Réinventer la radio

Jocelyn Peyret

Après l’euphorie pirate de la fin des années 1970 puis celle du début des années 1980 et la libéralisation des radios associatives, les décennies qui suivirent connurent une certaine débandade militante pour laisser la place au commercial. Qu’en est-il aujourd’hui avec le développement du Web et des nouvelles technologies de communication ?

En France, la fin des années 90 voit surgir un nouveau mouvement, celui des altermondialistes.
En cette fin de siècle, les réseaux de diffusion de l’information explosent à une échelle mondiale. Les critiques se renouvellent contre les médias dominants et les concentrations de groupes de presse qui se partagent le gâteau.
La radio n’est pas en reste et suit la même dynamique. Les structures associatives qui peinent à financer le passage au numérique vendent leur temps d’antenne aux annonceurs et perdent peu à peu leur indépendance financière. Les quelques rares résistantes qui subsistent raclent les fonds de tiroirs, font appel au soutien de leurs auditeurs et tentent de diversifier leurs activités. Parmi les plus accrochées à témoigner de la vie sociale, culturelle, politique, écologique, ou tout simplement d’un engagement, nous pouvons citer Radio Galère à Marseille, Canut à Lyon, Zinzine à Forcalquier, Fréquence Plurielle et Radio Libertaire à Paris.

Le retour des radios pirates

D’un autre côté, depuis quelques années, nous observons un retour des radios pirates, c’est-à-dire émettant hors de toute autorisation du CSA [1].
La première à faire parler d’elle a été Radio Klaxon qui émet sur Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) depuis 2012. Comprise comme moyen de communication indépendant, elle permet de donner des rendez-vous, de préciser la position des barrages de police, d’annoncer divers événements, de lancer des coups de gueule, etc.
Sur certains événements, comme le camp d’été à Bure (Meuse) en 2015, il s’agissait de diffuser localement les débats et conférences afin que les absent·es puissent profiter des échanges en cours. Dans ce cas précis, l’idée n’était pas de créer une radio pérenne, mais bien un phénomène circonscrit dans le temps, en lien avec une mobilisation de quelques jours.
Nous avons aussi pu voir surgir des stations éphémères au cours de plusieurs rassemblements comme à Rennes (Ille-et-Vilaine) avec Radio Croco et à Nantes (Loire-Atlantique) avec Radio Cayenne, lors des manifestations contre la Loi Travail en mai 2016.

La vague des web radios

La nouvelle vague occupe principalement Internet. Depuis plusieurs années, et comme à chaque évolution technologique, les nouveaux outils sont souvent détournés de leur utilisation première, pour rentrer dans le champ, dans le camp, des militant·es.
Qui plus est cet outil, simple d’utilisation ne demande pas d’engager des dépenses excessives, si ce n’est un abonnement auprès d’un hébergeur.
En effet, la simplicité et la quasi-gratuité de ce médium permettent de se lancer dans l’expérience d’une radio associative, militante et engagée, sans avoir à investir dans un studio numérique. Des logiciels libres permettent de créer une Web Radio. Il suffit d’acquérir un enregistreur numérique pour officier. Reste à déterminer la zone d’influence et le taux d’écoute.
Il faut souligner l’importance que peuvent représenter des radios de luttes, même de courte durée, lorsqu’elles permettent de diffuser en direct ou de proposer des écoutes différées.
C’était le cas de Radio Jungala dont l’activité était centrée sur la jungle de Calais. Elle donnait la parole aux migrant·es, à leurs soutiens et à quelques universitaires qui venaient témoigner du quotidien du camp.

Radio MNE à Mulhouse

D’autres, à l’inverse de la dynamique de Radio Croco et Radio Cayenne, commencent sur le Web avant de continuer en modulation de fréquence.
Il en est ainsi de Radio MNE (Mulhouse Net Expérience) à Mulhouse (Haut-Rhin), un exemple parmi d’autres, que je connais pour la fréquenter régulièrement (2).
Après plusieurs années uniquement sur le Web, depuis janvier 2015 Radio MNE diffuse sur une fréquence temporaire attribuée de septembre à juin par le CSA. Initiée par quelques personnes (souvent issues de médias libres locaux ayant mis la clé sous la porte), Radio MNE est un modèle de radio associative, citoyenne et impliquée localement. Elle tire ses revenus de nombreuses subventions publiques, locales, nationales ou européennes, et refuse toute publicité à l’antenne. Ses émissions sont variées et accueillent de nombreu·ses act·rices de la vie sociale et militante de la région. L’obtention d’une fréquence définitive serait pour elle l’assurance d’une meilleure visibilité, elle associerait alors la Web Radio à la FM.
En conclusion, il apparaît que le phénomène des radios libres est en pleine renaissance. Après des années de perdition, une volonté citoyenne d’expression non assujettie à un capital privé renaît de ses cendres. Ce n’est certes pas le même contexte qu’en 1977, mais les enjeux sont similaires : la liberté d’expression et la parole libre de toute censure. Le retour des pirates refusant de jouer le jeu du CSA pourrait être assimilé à un refus de répondre à un cahier des charges obligeant à une grille des programmes fournie et quotidienne. Sans parler de la liberté de ton et de revendication.

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Notes

[1Conseil supérieur de l’audiovisuel qui accorde, refuse ou retire une fréquence.

[2Conseil supérieur de l’audiovisuel qui accorde, refuse ou retire une fréquence.

[3Conseil supérieur de l’audiovisuel qui accorde, refuse ou retire une fréquence.